L’actrice Vahina Giocante revient sur l’inceste commis par son père de ses 5 à ses 11 ans, « difficile à dénoncer »

La comédienne de 42 ans raconte dans un livre son enfance blessée par un père incestueux et les épreuves qui l’ont menée au pardon. Quant au cinéma, elle espère qu’il aborde « un processus de guérison collective » et que les auteurs d’abus vont commencer à s’excuser.

Vahina Giocante, au Festival de Cannes de 2013. LP/Fred Dugit
Vahina Giocante, au Festival de Cannes de 2013. LP/Fred Dugit

    « J’ai découvert ce qu’est l’inceste aussi tôt que mes souvenirs commencent jusqu’à mes 11 ans ». En mai 2023, la comédienne Vahina Giocante écrivait ces mots abjects sur Instagram, dans le sillage de nombreuses affaires de violences sexuelles faites aux enfants enfin révélées. Elle raconte aujourd’hui son histoire, et le lent chemin de la reconstruction, dans un livre intitulé « A corps ouvert », et dans un entretien à Paris Match.

    Dans ce livre, « je dissèque l’inceste, mon expérience et mon rapport à ce corps qui a été objectifié et l’est encore parce que ça fait partie de mon métier », dit-elle à l’hebdomadaire avec sincérité et recul.

    Aussi tôt que ses souvenirs commencent, c’est à 5 ans. À l’âge où l’on n’apprend pas encore à lire, le père de Vahina Giocante, maraîcher, a commencé à abuser d’elle. « Ma plus grande chance est que cette agression n’a pas été faite dans la violence, mais c’est également ma plus grande malchance. Je comprends que les gens aient du mal à comprendre ce paradoxe. Quand le délit est commis avec délicatesse et tendresse, c’est aussi destructeur et c’est encore plus difficile à pointer du doigt et à dénoncer » confie-t-elle. Elle le dit un peu plus tard : « Je pensais que ce qu’il m’avait fait n’était pas si grave ». Mais au moment où son père agresse l’une de ses sœurs, cette carapace de protection vole en éclat. À 17 ans, la jeune fille, qui danse à l’opéra de Marseille et tourne déjà pour le cinéma, porte plainte contre son père, endurant toute la procédure, les témoignages, les confrontations.

    « À ce jour, pas un homme mis en cause n’a présenté ses excuses »

    Son père est condamné l’année suivante à trois de prison dont une année avec sursis. « Des années plus tard », il lui a demandé pardon, une étape nécessaire, mais il a ensuite tenté de convaincre ses sept frères et sœurs de son innocence. « Tout cela n’est qu’un tissu de mensonges, sinon elle ne m’aurait jamais pardonné », leur a-t-il affirmé.

    La violence sexuelle de son père induit un rapport au corps biaisé, que le cinéma a, sinon exploité, du moins compliqué. Car, dénonce-t-elle, beaucoup de professionnels du cinéma franchissent « la très mince frontière entre le désir créatif et le désir sexuel ».



    Elle ne donne aucun nom dans son livre mais a eu le courage, il y a quelques semaines, après avoir dénoncé les agissements de Gérard Depardieu, elle a appuyé les accusations de Judith Godrèche contre Benoît Jacquot, l’accusant de lui avoir promis un rôle si elle couchait avec lui et de n’avoir pas supporté ses refus sur le tournage de « Pas de scandale » en 1999. « Je ne vais pas mettre tous les réalisateurs dans le même panier. Il y en a de très bien, très intègres, comme Jan Kounen par exemple », mais « c’est quand même le seul métier où votre supérieur hiérarchique peut vous demander de simuler un acte sexuel ou de vous mettre nue. C’est la porte ouverte à tous les abus », dit-elle.

    Et de s’emporter contre le mutisme des hommes mis en cause qui, tous, nient. « À ce jour, pas un homme mis en cause n’a présenté ses excuses. Si seulement un ou deux assumaient leur part de responsabilité et présentaient des excuses, il y aurait un début d’apaisement. Au lieu de quoi, on considère celles et ceux qui parlent (car il y a également des hommes parmi les victimes) comme assoiffés de notoriété. Qu’on me cite une seule plaignante qui a vu sa carrière décoller… »

    Dans son livre, la comédienne écrit : « J’ai passé ma vingtaine à garder un sourire forcé tout en déclinant poliment la proposition de quelques producteurs de leur faire une petite gâterie en échange de faveurs professionnelles ». Et confie à Paris Match la « pitié » qu’ils lui inspirent. « Je trouve cela triste qu’ils doivent en arriver là pour être satisfaits », dit-elle, les appelant à « être désirés » dans « un rapport d’égal à égal ». Le contraire de l’abus de pouvoir et de domination qui a probablement tenu ces hommes en haleine.

    Des excuses seraient aussi les bienvenues. « Je voudrais que ces professionnels se remettent en question. Aujourd’hui, ils en ont l’opportunité. Ce qui serait génial, c’est qu’ils demandent pardon. Il en suffirait d’un, croit-elle, pour que les autres suivent ». Glissant, avec espoir, qu’« on est actuellement dans un processus de guérison collective. »